Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/53

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du soir, une prière improvisée, à bâtons rompus, et que j’aurais difficilement comprise, si un commencement d’expérience ne m’eût aidé à deviner les sous-entendus de ces invocations sans lien saisissable. Je fus un peu étonné d’entendre prier « pour le bétail et pour toute créature vivante, » et je conviendrai naïvement que cette formule inusitée me tira d’une sorte de somnolence où je m’étais engourdi à la longue.

Le plus curieux de cet incident reste encore à dire. Toujours agenouillé, toujours les mains jointes, et s’adressant à son valet de charrue, également agenouillé, qui tourna la tête au premier appel :

« John, lui dit le ministre, as-tu veillé à ce que Daisy eût aujourd’hui sa ration de breuvage chaud ? — deux quarts de gruau, tu sais, John, avec une cuillerée de gingembre et une roquille de bière. — Cette pauvre bête en a besoin, et je crois avoir omis de te le rappeler… Allez donc invoquer la bénédiction du ciel quand vous omettez les soins que vous devez prendre ! » ajouta-t-il à demi-voix, et comme se parlant à lui-même.

Il m’avertit, au moment où nous nous quittions pour la nuit, qu’il ne me verrait guère pendant les trente-six heures dont j’avais encore la libre disposition, attendu que le samedi et le dimanche appartenaient exclusivement à ses paroissiens. Je m’en consolai en songeant que je me trouverais ainsi plus à même de faire ample connaissance avec ma tante et ma cousine, espérant bien que celle-ci ne persisterait pas à me chercher noise au sujet des langues mortes.

« D’ailleurs, me disais-je avant de m’endormir, je prendrai les devants, et au lieu de lui laisser l’initiative, je questionnerai moi-même. Le choix des sujets ainsi me restera. »