Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/63

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chef professait pour mon père une estime toute particulière ; elle datait de l’apprentissage de M. Holdsworth dans la grande fabrique de machines où mon père était employé. Le premier me parlait du second comme ayant en matière d’inventions mécaniques un génie naturel analogue à celui de George Stephenson.

C’était pour moi chose flatteuse que de voir ce beau jeune homme, si bien mis, si bien disant, garder une attitude de véritable déférence vis-à-vis de mon pauvre père, dont les habits de fête ne ressemblaient en rien aux vêtements à la mode, et dont les mains calleuses, d’une noirceur invétérée, défiaient l’action de tous les savons imaginables. Ils ne parlaient, pour ainsi dire, pas la même langue, et la prononciation méridionale de M. Holdsworth contrastait avec le rude accent du Nord que mon père avait irrévocablement contracté ; mais ils marchaient de pair, et, s’appréciant à merveille, se faisaient mutuellement valoir.

De même, en vingt-quatre heures, s’entendirent mon père et le ministre, car, tout occupé qu’il était, l’auteur de mes jours ne crut pas pouvoir se dispenser d’aller remercier nos parents pour le bon accueil dont ils m’avaient honoré. On l’avait invité, d’ailleurs, et il passa toute une journée à la ferme.

Jamais on ne pratiqua l’enseignement mutuel avec une pareille ardeur. Mon père voulut voir tous les champs, se faire expliquer tous les assolements, toutes les méthodes, l’agencement des étables et des bergeries, l’installation des fumiers. Je le vois encore tirant à chaque minute son petit agenda, où il inscrivait d’ordinaire ses calculs, ses diagrammes cabalistiques, pour y noter ou les signes auxquels on reconnaît une bonne vache litière, ou les proportions d’azote contenues dans telle espèce de guano artificiel.