Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/12

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faite, se prit à songer aux œufs et au beurre qu’elle avait à vendre, et, bien qu’un peu à regret (car elle ne songeait plus guère à son manteau), Sylvia dut suivre le long des quais sa compagne mieux avisée.

Parmi la foule qu’elles quittaient ainsi, bien des cœurs battaient à l’approche des nouvelles attendues. On se le figurera aisément, si on songe que, pendant six longs mois d’été, ces marins dont on saluait le retour n’avaient pas donné une seule fois de leurs nouvelles. Or, les navires baleiniers partaient pour le Groënland peuplés d’hommes robustes et remplis d’espérances ; mais les équipages baleiniers ne revenaient jamais comme ils étaient partis. Quels étaient ceux dont les os blanchissaient maintenant sur les terribles îlots de glace flottante ? Quels étaient ceux que l’abîme garderait jusqu’au jour où la mer rendra tous les cadavres engloutis ? Quels étaient ceux qui jamais, jamais plus, ne reverraient Monkshaven ? Telles étaient les pensées qui peu à peu donnaient une physionomie solennelle à la foule, de plus en plus silencieuse.

Cependant, à quelques pas de là, cinq ou six jeunes filles, perchées au sommet d’un monceau de charpentes marines, se balançaient en se tenant par la main et chantaient un refrain joyeux.

« Pourquoi vous en allez-vous sitôt ? crièrent-elles du haut de leur observatoire à Sylvia et à sa compagne ; dans dix minutes ils seront ici ! »

Puis, sans attendre la réponse qui ne leur serait jamais arrivée, elles reprirent leur chant insensé. La ville était complètement déserte et la place du Marché complètement vide quand nos deux fermières y revinrent.

« Vous n’avez donc pas d’amoureux là-bas, que vous rentrez sitôt en ville ? » dit à Sylvia l’homme qui lui rendait son panier.