Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/15

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s’étaient successivement enrichis dans cette boutique sombre que les anciens se souvenaient d’avoir vue plus étroite et plus sombre encore. Mercerie, épicerie, draperie, confinées dans trois compartiments différents, y étaient vendues tour à tour. Les pratiques habituelles recevaient des deux frères une cordiale poignée de main accompagnée de questions affectueuses sur l’état de leur santé ou de leurs affaires. Le jour de Noël, le magasin restait ouvert comme une protestation solennelle contre les superstitions de « la vieille Babylone, » et les deux frères, qui n’entendaient pas violenter la conscience de leurs subalternes, demeuraient ce jour-là derrière le comptoir pour répondre à tout venant. Seulement, personne ne venait. Le jour de l’an, par compensation, ils tenaient prêts, dans le salon derrière la boutique, un immense gâteau et plusieurs bouteilles de vin pour faire boire et manger tout acheteur qui se présentait chez eux. Ajoutons, comme trait de caractère, que ces gens si scrupuleux ne se faisaient aucune conscience de frauder les droits. On arrivait à l’arrière-cour des Foster par une petite allée déserte qui descendait vers la rivière, et là, sous un porche bien abrité, une manière de frapper toute particulière appelait immédiatement John ou Jeremy, — à défaut d’eux, leur principal commis de magasin, le jeune Philip Hepburn. On entendait pousser les verrous, on voyait derrière le carreau de la boutique se tirer des rideaux verts, et il était facile de conjecturer qu’il s’accomplissait là quelque transaction mystérieuse. À Monkshaven, du reste, tout le monde était plus ou moins contrebandier, et tout le monde achetait de la contrebande, grâce à la connivence légèrement déguisée des agents de la douane, très-peu rigoureux pour leurs bons voisins.

La tradition voulait que John et Jeremy Foster fussent assez riches pour acheter toute la nouvelle ville