Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/165

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fond de la barque un autre gisait pieds et poings liés, et son imagination le lui représentait brisant les cordes dans lesquelles il était pris, se débarrassant par quelque élan impétueux de ses gardiens étonnés, et revenant à la nage, triomphant et libre.

Après tout, ce n’était pas sa faute si la barque emportait ainsi son rival exilé. Ce n’était pas sa faute, et pourtant il était dévoré de remords. Car il se rappelait les ardentes prières dont il avait fatigué le Ciel, une heure avant, tandis que parmi les rochers il marchait derrière Kinraid, et il pouvait regarder l’enlèvement de ce malheureux comme la réalisation des vœux impies qu’il avait formés alors.

Quoi qu’il pût penser à cet égard, l’événement était consommé. La barque était arrivée au tender, le captif hissé à bord, le canot lui-même avait repris sa place ordinaire, et le navire, ouvrant ses grandes voiles, s’éloignait sur la mer étincelante. Philip s’aperçut seulement alors qu’il était fort en retard. Il détira ses membres roidis, raffermit son havresac et, de son pas le plus rapide, s’achemina vers Hartlepol.

V

UNE MISSION IMPORTANTE.

Ce fut dans une petite auberge ouverte sur les quais de Newcastle, que Philip put prendre à loisir son premier repas. Il était entouré de marins bavards et grossiers, lesquels n’eussent pas demandé mieux que de lier conversation avec ce voyageur étranger. Mais, — autant pour élever une barrière entre eux et lui que pour obéir à un entraînement presque irrésistible, — il se fit appor-