Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/184

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VIII

L’OMBRE ÉPAISSIT.

Dans l’intervalle qui précéda le mariage de Coulson, maints et maints incidents se produisirent, en eux-mêmes fort insignifiants, mais qui comptaient pour beaucoup aux yeux de Philip. Selon que Sylvia le recevait avec un peu plus, un peu moins de cordialité, il passait de la joie au chagrin, radieux comme le soleil quand elle lui avait adressé quelques bonnes paroles, triste comme la lune quand elle ne s’était pas senti le courage d’ouvrir la bouche, ou si, le sachant là, elle ne se montrait point.

Pour ses parents, il était toujours le bien venu. L’abattement où ils voyaient leur chère petite Sylvia, l’affliction où son chagrin les plongeait, leur rendaient doublement précieuses les visites de Philip, et d’autant mieux qu’ils avaient à peu près rompu toute relation avec la famille Corney, offusqués par les regrets bruyants que miss Bessy affichait au sujet de « l’amoureux » dont elle semblait se croire veuve. Il y avait là comme une insulte à la douleur de leur fille, et, sans en faire un motif de brouille ouverte, ils avaient cru devoir suspendre provisoirement leurs rapports de bon voisinage ; — ceci, comme on pense, à la grande satisfaction de Philip, facilement effarouché par tout ce qui venait se placer entre lui et sa bien-aimée. Il n’arrivait jamais les mains vides. Tantôt c’était la ballade en vogue, tantôt le roman dont les colporteurs activaient la circulation, ou bien encore quelque œuvre plus édifiante, la Messiade de Klopstock, par exemple, le Sérieux appel de Law, le Pilgrim’s Progress de John Bunyan ; mais, surtout, les Chagrins du