bonne femme, si la press-gang ne l’avait enrôlé un peu violemment au service du pays.
Kinraid, une fois reconnu, avait raconté son histoire, et comment il s’était trouvé sous les ordres d’un vaillant capitaine, sir Sidney Smith, fort enclin aux entreprises périlleuses. Il s’était agi, certain jour, d’enlever un vaisseau français, sous les batteries mêmes qui le protégeaient de leur feu. Kinraid, déjà raccommodé avec son nouveau métier, s’offrit comme volontaire. Son exemple en entraîna quelques autres ; mais, dans le courant de cette expédition tentée avec une audace héroïque, la plupart furent faits prisonniers et restèrent longtemps au pouvoir des Français. Puis, un beau jour, ils s’évadèrent dans un bateau pêcheur, et furent recueillis à bord de l’escadre anglaise qui croisait alors dans les eaux de la Manche.
« Alors, continua la brave femme — entourée maintenant d’un nombreux auditoire, et comme exaltée par l’attention qu’on lui prêtait, — alors le capitaine sir Sidney Smith fut promu à la dignité d’amiral, et celui que nous appelions Charley Kinraid, le specksioneer, reçut la commission de lieutenant… Il est maintenant couvert de gloire, et m’a fait l’honneur de coucher la nuit dernière dans ma pauvre maison ! »
Autour de Philip, à ce moment, s’éleva un bruit d’applaudissements enthousiastes et de joyeuses acclamations. Kinraid était donc l’idole du public, et rien de ce qui le concernait ne pouvait rester indifférent à la foule. Aux récits qui déjà circulaient sur son compte, quels détails allaient s’ajouter encore ? Dès demain, — peut-être dans la journée même, — tout Monkshaven serait au courant de la trahison pratiquée par Philip contre le héros du jour. On se dirait, (et avec quelle indignation !) comment ce dernier l’avait supplanté dans l’amour de Sylvia, au moyen d’une dissimulation coupable.