Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/366

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goutte » le misérable vagabond souffrait et gémissait. Elle ne se doutait guère qu’à deux pas d’elle, pendant tout cet entretien, gisait cet homme pour qui son cœur devenait chaque jour moins implacable.

XV

PREMIÈRES PAROLES.

On était au printemps de l’année 1800. Il existe encore des vieillards qui vous diraient ce que fut la famine de cette année mémorable. La récolte de l’automne précédent avait manqué ; la guerre et les lois sur les céréales avaient ramené les blés aux prix de disette. Parmi ceux qu’on apportait sur les marchés, une grande partie étaient gâtés, et cependant on les achetait encore, dans l’espoir qu’en mêlant cette farine humide et visqueuse à la fécule de riz et de pommes de terre, on l’adapterait aux nécessités de l’alimentation. Les familles opulentes se refusaient la pâtisserie et tout ce qui constitue une superfétation de luxe dans l’emploi du blé. On avait augmenté la taxe sur la fine fleur d’amidon qui servait à poudrer les cheveux ; — et tous ces palliatifs étaient autant de gouttes d’eau extraites d’un océan de misères. Philip se rétablissait malgré lui. Au dégoût profond que les aliments lui inspiraient naguère, succédait cette faim dévorante qui accompagne la convalescence ; mais il ne restait plus rien de ses épargnes, et que pouvait être, en cette terrible année, un misérable subside de six pence par jour ? Pendant mainte soirée d’été, il rôda plusieurs heures de suite autour de cette maison qui jadis avait été la sienne, et qui aurait pu lui appartenir encore, à la condition d’y entrer et de récla-