Page:Gaulan - Une fière peur, Album Universel, 1907-01-05.djvu/4

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Dans le fond de la petite salle basse, remplie d’une épaisse fumée, on n’entendait des voix qui disaient : « Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs maintenant et à l’heure notre mort, ainsi soit-il ».

Le père Mathias se leva : — « Les femmes disent le chapelet, allons-y nous autres », commanda-t-il.

Ils éteignirent leurs pipes avec le pouce et suivirent le père Mathias.

Sur une espèce d’estrade autour de laquelle étaient agenouillées cinq ou six femmes, se trouvait le cadavre d’un homme. Il était enveloppé jusqu’au cou d’un drap blanc, et on apercevait la figure ressortant formidablement violacée du linceuil éclatant qui recouvrait le reste du corps. Le nez énorme pointillé en écumoire ; la lèvre pendante et goulue donnait à cette physionomie, malgré la gravité de la mort, un air burlesque, preque comique, qui portait plutôt à rire qu’à pleurer. C’était ce pauvre Baptiste Lamoureux, l’ivrogne le plus renommé de la Jeune Lorette. Des passants l’avaient trouvé étendu dans un champ, près de chez lui. On avait essayé de le ramener à la vie, mais sans succès. La cuite qu’il s’était administrée avait été si formidable, que du coup, il était parti pour le pays d’où l’on ne revient plus.

Chacun en priant pour lui durant cette veillée près de son cadavre, se demandait quel avait bien pu être son réveil de l’autre côté ? Comme les circonstances étaient contre le malheureux Baptiste, on ne pouvait s’empêcher de frisonner en pensant à sa surprise désagréable lorsqu’il se verrait dans l’autre monde.

Le père Mathias songeait lui aussi à ces choses-là. À minuit il serra la main à tous les assistants ; s’excusa auprès de la famille de ne pouvoir assister aux funérailles le lendemain matin, car il partait pour la Baie d’Hudson.

En s’en allant chez lui cette nuit-là, le père Mathias ne se sentait pas à l’aise, maintes et maintes fois il tourna la tête, croyant sentir quelqu’un ou quelque chose qui le frôlait ; il hâtait le pas, de sorte qu’il arriva chez lui presque en courant.


Il hâtait le pas, de sorte qu’il arriva chez lui presque en courant.