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Ta muse alors dans la source sacrée
Ne s’était pas encor désaltérée ;
Ton sein ardent ne s’était pas ouvert
Au charme heureux de l’ivresse lyrique ;
Et de lauriers ton front déjà couvert
N’avait pas ceint le laurier poétique.
Ta verve était cette fleur du désert,
Qui, retirée en son germe inodore,
Timide, attend un rayon du matin,
Pour exhaler les parfums de son sein ;
Ou mieux ce luth, à la corde sonore,
Qu’aucune main n’a fait vibrer encore ;
Mais qui, touché d’un doigt harmonieux
Va murmurer des sons mélodieux.

Le Dieu des vers d’une palme récente
Daignait alors ombrager mes cheveux.
Tout ébloui de ma gloire naissante,
À des lauriers, plus dignes de mes vœux,
Incessamment tu conviais ma lyre.
D’un doux espoir tu chatouillais mes sens,
Et tu voulais, ardent à me séduire,
Que Melpomène eût mon premier encens.
Tu le voulais, et tes conseils puissants,
De mon orgueil nourrissaient le délire.
Comme autrefois ce romain entêté,
Qui servant Rome et non pas l’équité,
Ne terminait sa harangue sauvage
Que par ces mots : Il faut perdre Carthage !
Au même but me ramenant toujours,
Pour irriter mon audace engourdie,
Tu couronnais chacun de tes discours
Par ce refrain : « Fais une tragédie. »
Je résistais ; mais enfin ton ardeur
S’insinua par degrés dans mon cœur.
Je n’osais seul courtiser Melpomène :
De tes efforts tu m’offris le concours ;
Avec transport j’acceptai ton secours ;