Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/17

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DON MELCHIOR.

Oh ! je le sens !… j’étais né pour les joies de la famille !… Pour le bonheur paisible du foyer !…

LE COMTE.

C’est pour cela que vous avez rempli Grenade d’esclandres… qu’il n’est bruit que de vos déportements avec les Gitanas de l’Albaysin, que de vos rixes dans les cabarets avec les Toreros… singulière façon de prouver son goût pour les plaisirs tranquilles !…

DON MELCHIOR.

Hélas !… les hommes sont si méchants, qu’ils ont trouvé moyen de calomnier, même le diable !… Il doit y avoir beaucoup d’invention dans les légendes qu’on vous a récitées sur mon adolescence.

LE COMTE.

Et ces mémoires de fournisseurs, longs comme votre épée, que j’ai payés de mon pauvre argent, étaient-ce aussi des inventions ?

DON MELCHIOR.

Aurais-je fait à mon oncle l’injure de m’adresser à d’autres qu’à lui, pour ces bagatelles ?… D’ailleurs, si j’ai fait des dettes, c’était pour soutenir l’honneur de notre nom.

LE COMTE.

Vous le soutenez trop… J’ai soldé trois fois vos mémoires.

DON MELCHIOR.

Oncle sublime !

LE COMTE.

Je ne suis pas en fonds… je vous en préviens… allez-vous encore me demander de l’argent ?…

DON MELCHIOR.

Malgré ma jeunesse, je n’ai plus assez d’illusions pour cela… les oncles du temps se font si coquins, qu’ils mériteraient d’être leurs neveux !… Rassurez-vous… je n’abuserai de mon népotisme que pour vous demander une collation homérique…

LE COMTE.

Vous avez donc toujours faim ?

DON MELCHIOR.

Je tombe d’inanition… depuis Grenade, je n’ai mangé que dans les auberges ; et, tout à l’heure, j’ai tant couru !…

LE COMTE.

Que dites-vous ?… quel soupçon !… Est-ce que, par hasard, vous seriez compromis dans cette fatale aventure ?…

DON MELCHIOR.

Comment ? Je voudrais bien être à table !

LE COMTE.

Ignorez-vous qu’un audacieux, sous prétexte de la sauver, vient de toucher à la reine, et que c’est un crime puni de mort ?…

DON MELCHIOR, à part.

Ah ! diable !