Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/109

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abandonnée ainsi toute une longue soirée. Avez-vous pensé à moi seulement ?

― Toujours, répondit Octave-Labinski.

― Oh ! non, pas toujours ; je sens quand vous pensez à moi, même de loin. Ce soir, par exemple, j’étais seule, assise à mon piano, jouant un morceau de Weber et berçant mon ennui de musique ; votre âme a voltigé quelques minutes autour de moi dans le tourbillon sonore des notes ; puis elle s’est envolée je ne sais où sur le dernier accord, et n’est pas revenue. Ne mentez pas, je suis sûre de ce que je dis. »

Prascovie, en effet, ne se trompait pas ; c’était le moment où chez le docteur Balthazar Cherbonneau le comte Olaf Labinski se penchait sur le verre d’eau magique, évoquant une image adorée de toute la force d’une pensée fixe. À dater de là, le comte, submergé dans l’océan sans fond du sommeil magnétique, n’avait plus eu ni idée, ni sentiment, ni volition.

Les femmes, ayant achevé la toilette nocturne de la comtesse, se retirèrent ; Octave-Labinski restait toujours debout, suivant Prascovie d’un regard enflammé. ― Gênée et brûlée par ce regard, la comtesse s’enveloppa de son bournous comme la Polymnie de sa draperie. Sa tête seule apparaissait au-dessus des plis blancs et bleus, inquiète, mais charmante.

Bien qu’aucune pénétration humaine n’eût