Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/12

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feuillets d’un livre, étincelaient deux prunelles d’un bleu de turquoise, d’une limpidité, d’une fraîcheur et d’une jeunesse inconcevables. Ces étoiles bleues brillaient au fond d’orbites brunes et de membranes concentriques dont les cercles fauves rappelaient vaguement les plumes disposées en auréole autour de la prunelle nyctalope des hiboux. On eût dit que, par quelque sorcellerie apprise des brahmes et des pandits, le docteur avait volé des yeux d’enfant et se les était ajustés dans sa face de cadavre. Chez le vieillard le regard marquait vingt ans ; chez le jeune homme il en marquait soixante.

Le costume était le costume classique du médecin : habit et pantalon de drap noir, gilet de soie de même couleur, et sur la chemise un gros diamant, présent de quelque rajah ou de quelque nabab. Mais ces vêtements flottaient comme s’ils eussent été accrochés à un portemanteau, et dessinaient des plis perpendiculaires que les fémurs et les tibias du docteur cassaient en angles aigus lorsqu’il s’asseyait. Pour produire cette maigreur phénoménale, le dévorant soleil de l’Inde n’avait pas suffi. Sans doute Balthazar Cherbonneau s’était soumis, dans quelque but d’initiation, aux longs jeûnes des fakirs et tenu sur la peau de gazelle auprès des yoghis entre les quatre réchauds ardents ; mais cette déperdition de substance n’accusait aucun affaiblissement. Des ligaments solides et tendus