Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/162

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portunait, car ses sourcils se contractèrent, la ride de son front se creusa, et le gris des prunelles prit une teinte jaune.

Une vague inattendue, venue du large et courant sur la mer, ourlée d’une frange d’écume, passa sous le bateau à vapeur, qu’elle souleva et laissa retomber lourdement, se brisa sur le quai en millions de paillettes, mouilla les promeneurs tout surpris de cette douche subite, et fit, par la violence de son ressac, s’entre-choquer si rudement les embarcations, que trois ou quatre facchini tombèrent à l’eau. L’accident n’était pas grave, car ces drôles nagent tous comme des poissons ou des dieux marins, et quelques secondes après ils reparurent, les cheveux collés aux tempes, crachant l’eau amère par la bouche et les narines, et aussi étonnés, à coup sûr, de ce plongeon, que put l’être Télémaque, fils d’Ulysse, lorsque Minerve, sous la figure du sage Mentor, le lança du haut d’une roche à la mer pour l’arracher à l’amour d’Eucharis.

Derrière le voyageur bizarre, à distance respectueuse, restait debout, auprès d’un entassement de malles, un petit groom, espèce de vieillard de quinze ans, gnome en livrée, ressemblant à ces nains que la patience chinoise élève dans des potiches pour les empêcher de grandir ; sa face plate, où le nez faisait à peine saillie, semblait avoir été comprimée dès l’enfance, et ses yeux à fleur de tête avaient cette douceur que