Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/17

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foncé son bec crochu dans votre foie ? Du haut de quelle ambition secrète êtes-vous retombé brisé et moulu ? Quel désespoir amer ruminez-vous dans l’immobilité ? Est-ce la soif du pouvoir qui vous tourmente ? Avez-vous renoncé volontairement à un but placé hors de la portée humaine ? ― Vous êtes bien jeune pour cela. ― Une femme vous a-t-elle trompé ?

― Non, docteur, répondit Octave, je n’ai pas même eu ce bonheur.

― Et cependant, reprit M. Balthazar Cherbonneau, je lis dans vos yeux ternes, dans l’habitude découragée de votre corps, dans le timbre sourd de votre voix, le titre d’une pièce de Shakspeare aussi nettement que s’il était estampé en lettres d’or sur le dos d’une reliure de maroquin.

― Et quelle est cette pièce que je traduis sans le savoir ? dit Octave, dont la curiosité s’éveillait malgré lui.

Love’s labour’s lost, continua le docteur avec une pureté d’accent qui trahissait un long séjour dans les possessions anglaises de l’Inde.

― Cela veut dire, si je ne me trompe, peines d’amour perdues.

― Précisément. »

Octave ne répondit pas ; une légère rougeur colora ses joues, et, pour se donner une contenance, il se mit à jouer avec le gland de sa cordelière. Le docteur avait reployé une de ses