Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

son fauteuil de bambou. — Paul prit congé, et miss Ward, parodiant le geste d’adieu napolitain, lui envoya du bout des doigts un imperceptible baiser en disant : « À demain, Paul, n’est-ce pas ? » d’une voix toute chargée de suaves caresses.

Alicia était en ce moment d’une beauté radieuse, alarmante, presque surnaturelle, qui frappa son oncle réveillé en sursaut par la sortie de Paul. — Le blanc de ses yeux prenait des tons d’argent bruni et faisait étinceler les prunelles comme des étoiles d’un noir lumineux ; ses joues se nuançaient aux pommettes d’un rose idéal, d’une pureté et d’une ardeur célestes, qu’aucun peintre ne posséda jamais sur sa palette ; ses tempes, d’une transparence d’agate, se veinaient d’un réseau de petits filets bleus, et toute sa chair semblait pénétrée de rayons : on eût dit que l’âme lui venait à la peau.

« Comme vous êtes belle aujourd’hui, Alicia ! dit le commodore.

— Vous me gâtez, mon oncle ; et si je ne suis pas la plus orgueilleuse petite fille des trois royaumes, ce n’est pas votre faute. Heureusement, je ne crois pas aux flatteries, même désintéressées.

— Belle, dangereusement belle, continua en lui-même le commodore ; elle me rappelle, trait pour trait, sa mère, la pauvre Nancy, qui mourut à dix-neuf ans. De tels anges ne peuvent