Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/25

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moderne dans l’antique manoir, sans en troubler en rien la beauté sévère et l’élégance sérieuse. De grandes portières armoriées s’agrafaient heureusement aux arcades ogivales ; des fauteuils et des meubles de forme ancienne s’harmonisaient avec les murailles couvertes de boiseries brunes ou de fresques d’un ton amorti et passé comme celui des vieilles tapisseries ; aucune couleur trop neuve, aucun or trop brillant n’agaçait l’œil, et le présent ne dissonait pas au milieu du passé. ― La comtesse avait l’air si naturellement châtelaine, que le vieux palais semblait bâti exprès pour elle.

« Si j’avais été séduit par la radieuse beauté de la comtesse, je le fus bien davantage encore au bout de quelques visites par son esprit si rare, si fin, si étendu ; quand elle parlait sur quelque sujet intéressant, l’âme lui venait à la peau, pour ainsi dire, et se faisait visible. Sa blancheur s’illuminait comme l’albâtre d’une lampe, d’un rayon intérieur : il y avait dans son teint de ces scintillations phosphorescentes, de ces tremblements lumineux dont parle Dante lorsqu’il peint les splendeurs du paradis ; on eût dit un ange se détachant en clair sur un soleil. Je restais ébloui, extatique et stupide. Abîmé dans la contemplation de sa beauté, ravi aux sons de sa voix céleste qui faisait de chaque idiome une musique ineffable, lorsqu’il me fallait absolument répondre je balbutiais quelques mots incohé-