Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/40

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les larmes se séchaient ; car Olaf et Prascovie avaient le noble égoïsme du bonheur, et ils ne pouvaient souffrir une douleur dans leur rayonnement.

Depuis que le polythéisme a emporté avec lui ces jeunes dieux, ces génies souriants, ces éphèbes célestes aux formes d’une perfection si absolue, d’un rythme si harmonieux, d’un idéal si pur, et que la Grèce antique ne chante plus l’hymne de la beauté en strophes de paros, l’homme a cruellement abusé de la permission qu’on lui a donnée d’être laid et, quoique fait à l’image de Dieu, le représente assez mal. Mais le comte Labinski n’avait pas profité de cette licence ; l’ovale un peu allongé de sa figure, son nez mince, d’une coupe hardie et fine, sa lèvre fermement dessinée, qu’accentuait une moustache blonde aiguisée à ses pointes, son menton relevé et frappé d’une fossette, ses yeux noirs, singularité piquante, étrangeté gracieuse, lui donnaient l’air d’un de ces anges guerriers, saint Michel ou Raphaël, qui combattent le démon, revêtus d’armures d’or. Il eût été trop beau sans l’éclair mâle de ses sombres prunelles et la couche hâlée que le soleil d’Asie avait déposée sur ses traits.

Le comte était de taille moyenne, mince, svelte, nerveux, cachant des muscles d’acier sous une apparente délicatesse ; et lorsque dans quelque bal d’ambassade, il revêtait son cos-