Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/400

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Le temps était beau, aucun nuage ne voilait le ciel ; il ne faisait pas assez de vent pour agiter une feuille de tremble, pas une ride ne moirait la surface de l’étang, plus uni qu’un miroir. À peine si, dans ses jeux, quelque carpe faisant la cabriole venait y tracer un cercle bientôt évanoui ; les arbres de la rive s’y réfléchissaient si exactement que l’on hésitait entre l’image et la réalité ; on eût dit une forêt plantée la tête en bas et soudant ses racines aux racines d’une forêt identique, un bois qui se serait noyé pour un chagrin d’amour ; les poissons avaient l’air de nager dans le feuillage et les oiseaux de voler dans l’eau. Ju-Kiouan s’amusait à considérer cette transparence merveilleuse, lorsque, jetant les yeux sur la portion de l’étang qui avoisinait le mur de séparation, elle aperçut le reflet du pavillon opposé qui s’étendait jusque-là en glissant par-dessous l’arche.

Elle n’avait jamais fait attention à ce jeu d’optique, qui la surprit et l’intéressa. Elle distinguait les piliers rouges, les frises découpées, les pots de reines-marguerites, les girouettes dorées, et si la réfraction ne les eût renversées, elle aurait lu les sentences inscrites sur les tablettes. Mais ce qui l’étonna au plus haut degré, ce fut de voir penchée sur la rampe du balcon, dans une position pareille à la sienne, une figure qui lui ressemblait d’une telle façon, que si elle ne fût pas venue de l’autre côté du bassin elle l’eût