Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/458

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— Le voici :

Je me retrouvai chez mon ami Alphonse Karr, — comme le matin, dans la réalité ; il était assis sur son divan de lampas jaune, avec sa pipe et sa bougie allumée ; seulement le soleil ne faisait pas voltiger sur les murs, comme des papillons aux mille couleurs, les reflets bleus, verts et rouges des vitraux.

Je pris la pipe de ses mains, ainsi que je l’avais fait quelques heures auparavant, et je me mis à aspirer lentement la fumée enivrante.

Une mollesse pleine de béatitude ne tarda pas à s’emparer de moi, et je sentis le même étourdissement que j’avais éprouvé en fumant la vraie pipe.

Jusque-là mon rêve se tenait dans les plus exactes limites du monde habitable, et répétait, comme un miroir, les actions de ma journée.

J’étais pelotonné dans un tas de coussins, et je renversais paresseusement ma tête en arrière pour suivre en l’air les spirales bleuâtres, qui se fondaient en brume d’ouate, après avoir tourbillonné quelques minutes.

Mes yeux se portaient naturellement sur le plafond, qui est d’un noir d’ébène, avec des arabesques d’or.

À force de le regarder avec cette attention extatique qui précède les visions, il me parut bleu, mais d’un bleu dur, comme un des pans du manteau de la Nuit.