Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

oscillait sur un trépied de bronze, le comte Olaf Labinski aperçut un spectacle effrayant qui le fit frissonner malgré sa bravoure. Une table de marbre noir supportait le corps d’un jeune homme nu jusqu’à la ceinture et gardant une immobilité cadavérique ; de son torse hérissé de flèches comme celui de saint Sébastien, il ne coulait pas une goutte de sang ; on l’eût pris pour une image de martyr coloriée, où l’on aurait oublié de teindre de cinabre les lèvres des blessures.

« Cet étrange mèdecin, dit en lui-même Olaf, est peut-être un adorateur de Shiva, et il aura sacrifié cette victime à son idole. »

« Oh ! il ne souffre pas du tout ; piquez-le sans crainte, pas un muscle de sa face ne bougera ; » et le docteur lui enlevait les flèches du corps, comme l’on retire les épingles d’une pelote.

Quelques mouvements rapides de mains dégagèrent le patient du réseau d’effluves qui l’emprisonnait, et il s’éveilla le sourire de l’extase sur les lèvres comme sortant d’un rêve bienheureux. M. Balthazar Cherbonneau le congédia du geste, et il se retira par une petite porte coupée dans la boiserie dont l’alcôve était revêtue.

« J’aurais pu lui couper une jambe ou un bras sans qu’il s’en aperçût, dit le docteur en plissant ses rides en façon de sourire ; je ne l’ai pas fait parce que je ne crée pas encore, et que