Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/97

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beautés, si je découvrais un monde, eh bien, je n’en serais pas plus avancé pour cela ! »

« À quoi tient la destinée ! j’avais envie d’aller à Constantinople, je ne l’aurais pas rencontrée ; je reste à Florence, je la vois et je meurs. »

« Je me serais bien tué ; mais elle respire dans cet air où nous vivons, et peut-être ma lèvre avide aspirera-t-elle ― ô bonheur ineffable ! ― un effluve lointain de ce souffle embaumé ; et puis l’on assignerait à mon âme coupable une planète d’exil, et je n’aurais pas la chance de me faire aimer d’elle dans l’autre vie. ― Être encore séparés là-bas, elle au paradis, moi en enfer : pensée accablante ! »

« Pourquoi faut-il que j’aime précisément la seule femme qui ne peut m’aimer ? D’autres qu’on dit belles, qui étaient libres, me souriaient de leur sourire le plus tendre et semblaient appeler un aveu qui ne venait pas. Oh ! qu’il est heureux lui ! Quelle sublime vie antérieure Dieu récompense-t-il en lui par le don magnifique de cet amour ? »

… Il était inutile d’en lire davantage. Le soupçon que le comte avait pu concevoir à l’aspect du portrait de Prascovie s’était évanoui dès les premières lignes de ces tristes confidences. Il comprit que l’image chérie, recommencée mille fois, avait été caressée loin du modèle avec cette patience infatigable de l’amour malheureux, et que c’était la madone d’une petite