Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/24

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soupé chez Fortunio, il n’y a pas longtemps ; tu y étais, si je ne me trompe.

― C’est vrai, dit Alfred ; à quoi songeais-je donc ?

― J’y étais aussi, reprit Arabelle ; et même son souper valait beaucoup mieux que le vôtre, George, quoique vous vous piquiez d’être un adepte en haute cuisine ; mais qu’est-ce que cela prouve, sinon que Fortunio est le plus mystérieux des mortels ?

― Il n’y a rien de mystérieux à donner à souper à vingt personnes.

― Assurément non ; mais voici où le mystérieux commence : je me suis fait conduire à l’hôtel où Fortunio nous a reçus, et personne n’a eu l’air de savoir ce que je voulais dire ; Fortunio était parfaitement inconnu. Je fis prendre des informations, qui furent d’abord infructueuses, mais enfin je finis par découvrir qu’un jeune homme, dont on ignorait le nom et dont le signalement se rapproche parfaitement à celui de Fortunio, avait acheté l’hôtel deux cent mille francs qu’il avait payés comptant en billets de banque, et qu’aussitôt le marché conclu, une nuée de tapissiers et d’ouvriers de toute sorte avaient envahi la maison et l’avaient mise dans l’état où vous l’avez vue, avec une rapidité qui tenait de l’enchantement. De nombreux domestiques en grande livrée, un chef de cuisine suivi d’une légion d’aides et d’officiers de bouche,