Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/250

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ils pas reçu comme leurs peintures le privilège de l’immortalité ? — Le sérail du plus voluptueux sultan serait peu de chose à côté de celui que l’on pourrait composer avec les odalisques de la peinture, et il est vraiment dommage que tant de beauté soit perdue.

Tous les jours Tiburce allait à la cathédrale et s’abîmait dans la contemplation de sa Madeleine bien-aimée, et chaque soir il en revenait plus triste, plus amoureux et plus fou que jamais. — Sans aimer de tableaux, plus d’un noble cœur a éprouvé les souffrances de notre ami en voulant souffler son âme à quelque morne idole qui n’avait de la vie que le fantôme extérieur, et ne comprenait pas plus la passion qu’elle inspirait qu’une figure coloriée.

À l’aide de fortes lorgnettes notre amoureux scrutait sa beauté jusque dans les touches les plus imperceptibles. Il admirait la finesse du grain, la solidité et la souplesse de la pâte, l’énergie du pinceau, la vigueur du dessin, comme un autre admire le velouté de la peau, la blancheur et la belle coloration d’une maîtresse vivante : sous prétexte d’examiner le travail de plus près, il obtint une échelle de son ami le bedeau, et, tout frémissant d’amour, il osa porter une main téméraire sur l’épaule de la Madeleine. Il fut très surpris, au lieu du moelleux satiné d’une épaule de femme, de ne trouver qu’une surface âpre et rude comme une lime, gaufrée et martelée en