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était de chanter le soir à leur fenêtre la musique qu’elles avaient composée dans la journée.

Les maîtres les plus célèbres venaient de très loin pour les entendre et lutter avec elles. Ils n’avaient pas plutôt écouté une mesure qu’ils brisaient leurs instruments et déchiraient leurs partitions en s’avouant vaincus. En effet, c’était une musique si agréable et si mélodieuse, que les chérubins du ciel venaient à la croisée avec les autres musiciens et l’apprenaient par cœur pour la chanter au bon Dieu.

Un soir de mai, les deux cousines chantaient un motet à deux voix ; jamais motif plus heureux n’avait été plus heureusement travaillé et rendu. Un rossignol du parc, tapi sur un rosier, les avait écoutées attentivement. Quand elles eurent fini, il s’approcha de la fenêtre et leur dit en son langage de rossignol : « Je voudrais faire un combat de chant avec vous. »

Les deux cousines répondirent qu’elles le voulaient bien, et qu’il eût à commencer.

Le rossignol commença. C’était un maître rossignol. Sa petite gorge s’enflait, ses ailes battaient, tout son corps frémissait ; c’étaient des roulades à n’en plus finir, des fusées, des arpèges, des gammes chromatiques ; il montait et descendait, il filait les sons, il perlait les cadences avec une pureté désespérante : on eût dit que sa voix avait des ailes comme son corps. Il s’arrêta, certain d’avoir remporté la victoire.