Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/463

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fragilité et la brièveté de la vie ! ― des escaliers faits pour des enjambées de Titan, que le pied humain ne saurait franchir et qu’il faut monter avec des échelles ; des colonnes que cent bras ne pourraient entourer, des labyrinthes où l’on marcherait un an sans en trouver l’issue ! ― le vertige de l’énormité, l’ivresse du gigantesque, l’effort désordonné de l’orgueil qui veut graver à tout prix son nom sur la surface du monde !

« Et puis, Charmion, je te le dis, j’ai une pensée qui me fait peur ; dans les autres contrées de la terre on brûle les cadavres, et leur cendre bientôt se confond avec le sol. Ici l’on dirait que les vivants n’ont d’autre occupation que de conserver les morts ; des baumes puissants les arrachent à la destruction ; ils gardent tous leur forme et leur aspect ; l’âme évaporée, la dépouille reste ; sous ce peuple il y a vingt peuples ; chaque ville a les pieds sur vingt étages de nécropoles ; chaque génération qui s’en va fait une population de momies à une cité ténébreuse : sous le père vous trouvez le grand-père et l’aïeul dans leur boîte peinte et dorée, tels qu’ils étaient pendant la vie, et vous fouilleriez toujours que vous en trouveriez toujours !

« Quand je songe à ces multitudes emmaillottées de bandelettes, à ces myriades de spectres desséchés qui remplissent les puits funèbres et qui sont là depuis deux mille ans, face à face, dans leur silence que rien ne vient troubler, pas