Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/465

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« Voilà pourquoi je m’ennuie, Charmion ; avec l’amour, cette Égypte aride et renfrognée me paraîtrait plus charmante que la Grèce avec ses dieux d’ivoire, ses temples de marbre blanc, ses bois de lauriers-roses et ses fontaines d’eau vive. Je ne songerais pas à la physionomie baroque d’Anubis et aux épouvantements des villes souterraines. »

Charmion sourit d’un air incrédule. « Ce ne doit pas être là un sujet de chagrin pour vous ; car chacun de vos regards perce les cœurs comme les flèches d’or d’Éros lui-même.

― Une reine, reprit Cléopâtre, peut-elle savoir si c’est le diadème ou le front que l’on aime en elle ? Les rayons de sa couronne sidérale éblouissent les yeux et le cœur, descendue des hauteurs du trône, aurais-je la célébrité et la vogue de Bacchide ou d’Archenassa, de la première courtisane venue d’Athènes ou de Milet ? Une reine, c’est quelque chose de si loin des hommes, de si élevé, de si séparé, de si impossible ! Quelle présomption peut se flatter de réussir dans une pareille entreprise ? Ce n’est plus une femme, c’est une figure auguste et sacrée qui n’a point de sexe, et que l’on adore à genoux sans l’aimer, comme la statue d’une déesse. — Qui a jamais été sérieusement épris d’Héré aux bras de neige, de Pallas aux yeux vert de mer ? qui a jamais essayé de baiser les pieds d’argent de Thétis et les doigts de rose de l’Au-