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Page:Gautier - Chanson de Roland onzieme edition 1881.djvu/41

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tels autres qui leur paraissent nécessaires. Ils intercalent certains épisodes de leur composition, et rédigent à nouveau certaines parties de l’ancien texte. Même ils adoptent des vers d’une autre mesure, et voici que, dans l’épisode du procès de Ganelon, le vers alexandrin pénètre enfin dans notre Chanson, qui est décidément trop remaniée et mal rajeunie[1].

Il ne reste plus qu’à modifier l’esprit général de nos vieux poèmes, et c’est à quoi nos remanieurs s’entendent merveilleusement. Dans la Chanson de Roland, telle qu’on la pourra lire tout à l’heure, c’était l’esprit du XIe siècle qui frémissait ; dans nos rifacimenti, c’est celui du XIIIe. Les âmes y sont moins mâles. Tout s’alanguit, s’attiédit, s’effémine. La guerre n’est plus le seul mobile, ni la pensée unique. Le coup de lance, bien donné ou bien reçu ; n’est plus le seul idéal. Ce n’est plus l’esprit des croisades populaires et enthousiastes comme le fut celle de 1096 : c’est le temps des croisades à moitié politiques et auxquelles il faut un peu contraindre les meilleurs barons chrétiens. Rome est moins aimée, et l’oriflamme de Saint-Denis fait un peu oublier l’enseigne de saint Pierre. Charlemagne est déjà loin ; Philippe le Bel approche, La Royauté, plus puissante, est cependant moins respectée.


  1. La meilleure façon de donner une idée de ces Remaniements, c’est d’en citer un fragment. Voici les deux premières laisses du texte de Versailles : nous prions nos lecteurs de les comparer attentivement aux deux premières laisses de notre texte.

    I. Challes li rois à la barbe grifaigne — Sis anz toz plens a esté en Espaigne, — Conquist la terre jusque la mer alteigne ; — En meint estor fut voue s’enseigne ; — Ne trove bore ne castel qu’il n’enplaigne, — Ne mur tant aut qu’à la terre n’enfraigne, — Fors Saragoze, au chief d’une montaigne : — Là est Marsille, qui la loi Deu n’en daigne ; — Mahomet sert, mot fait folle gaaigne. — Ne poit durer que Challes ne le taigne : — Car il n’a hom qu’à lui servir se faigne, — Fors Guenelon que il tint por engeigne. — Jamais n’ert jor que li rois ne s’en pleigne.

    II. En Saragoze ert Marsille li ber ; — Soz une olive se sist por deporter, -Environ lui si demeine et si per. — Sor un peron que il fist tot lister — Monte li rois, si comence à parler : — « Oiez, signor, que je vos vel mostrer ; — Consiliez-moi cornent porai esrer ; — Desfendez-moi de honte et d’affoler. — Bien a set anz, ne sont mie à paser, — Li Empereres, c’on puet tant redoter, -En cest païs entra por conquister. — Ars a mes bors, mes terres fait gaster ; « — Cité n’avons qui vers lui peust durer. — Mais à vous toz consel vel demander : — Par quel enging porai vers lui aler ? » — Mal soit de cet qui ousast mot sonner, — Ne qui lovassent son seignor conseiller, — Fors Blankaudin. CeI ne se voit celer. — En tot le mont, si com orez nomer, — N’en verez hom tant sage mesajer…