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Page:Gautier - Chanson de Roland onzieme edition 1881.djvu/430

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9111-10369.)

Le début du Couronnement Looys est véritablement épique… Charles sent qu’il va mourir, et veut mourir en assurant la vie de son empire. Dans sa chapelle d’Aix, il réunit un jour ses évêques et ses comtes. Sur l’autel il dépose sa couronne d’or, et annonce à ses peuples qu’il va laisser la royauté à son fils. (Couronnement Looys, poème de la seconde moitié du XIIe siècle, éd. Jonckbloet, vers 1-61.) Alors le grand empereur élève la voix et donne, pour la dernière fois, ses suprêmes conseils au jeune Louis, qui, faible et timide, tremble devant la majesté terrible de son père. (Ibid., 62-77.) Même il n’ose prendre la couronne, et Charles alors le couvre d’injures, le déshérite, et parle d’en faire « un marguillier ou un moine ». (Ibid., 78-96.) L’inévitable traître est là : c’est Hernaut d’Orléans, qui veut enlever le trône à Louis ; mais, par bonheur, il y a là aussi un héros qui met un courage et une force héroïques au service de sa fidélité et de son honneur. Guillaume, prend la défense du pauvre jeune roi ; il lui met la couronne en tête (Ibid., 97-112), et se constitue son tuteur tout-puissant, son défenseur infatigable. Charles peut désormais mourir tranquille. Et, en effet, il meurt quelque temps après, sachant que Louis pourra régner, parce qu’il y a Guillaume auprès de lui. (Ibid., 113-236[1].) = Et telle est toute l’Histoire poétique de Charlemagne, d’après les seules Chansons de geste du cycle carlovingien[2].

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D’après les textes qui précèdent et ceux que nous énumérons dans nos Notes, on peut dresser le TABLEAU PAR ANCIENNETÉ DES SOURCES DE L’HISTOIRE POÉTIQUE DE CHARLEMAGNE.

I. Le plus ancien groupe est représenté par la Chanson de Roland, qui repose non seulement sur des légendes remontant au IXe et même au VIIIe siècle, mais encore sur des textes historiques d’une importance considérable. (Éginhard, Vita Karoli, IX. — Annales d’Angilbert, faussement aitribuées à Éginhard (ann, .778), et reproduites, par le Poète saxon. — L’Astronome, Vita Hludovici, dans Pertz, Monumenta Germaniae historica. Scriptores, II, 608.)

II. En même temps que la légende de Roncevaux mais d’une façon tout à fait indépendante et dans un autre cycle, se formait la légende d’Ogier, qui est également appuyée sur des textes historiques. (Lettre du pape saint Paul à Pepin en

  1. La mort du grand empereur est encore racontée, mais en termes très rapides, dans Anseïs de Carthage. = Sur la fin de cet homme presque surnaturel, deux autres légendes ont circulé, et elles sont toutes deux peu favorables à la mémoire de Charles : 1o Walafrid Strabo (Historiens de France, V, 339) reproduit un répit de l’abbé Hetto, qui le tirait du moine Wettin. Ce dernier avait vu en songe Charlemagne dans les flammes de l’enfer, où un monstre le dévorait éternellement. Et pourquoi ce supplice du grand empereur ? C’était « à cause de son libertinage honteux ». 2o La fable du faux Turpin est plus connue… Un jour Turpin vit l’âme de Charlemagne entre les mains dès démons. Or cette pauvre âme était en grand danger devant le Juge suprême, quand un Galicien sans tête (saint Jacques) jeta dans les balances éternelles toutes les pierres et toutes les poutres des basiliques construites par Charlemagne. Il fut sauvé. = Le moyen âge n’a rien trouvé de plus beau pour honorer le souvenir de celui dont la Chanson de Roland a si bien dit : N’iert mais tels hum desqu’al Deu juise.
  2. Voir le résumé des autres Chansons dans notre première édition du Roland, II. 270 et suivantes.