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Page:Gautier - Chanson de Roland onzieme edition 1881.djvu/452

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n’eût pleuré, le coeur lui eût crevé. » (Vers 10688 et suivants). Dans Aliscans, Guillaume ne parle pas moins tendrement à son cheval Baucent : « Cheval, vous êtes bien las. Je vous remercie, mon cheval, et vous rends grâces de vos services. Si je pouvais arriver dans Orange, je voudrais qu’on ne vous montât plus. Vous ne mangeriez que de l’orge vanné, vous ne boiriez qu’en des vases dorés. On vous parerait quatre fois par jour, et quatre fois on vous envelopperait de riches couvertes. » Et Renaud de Montauban s’écrie, dans les Quatre fils Aymon : « Si je te tue, Bayard, puissé-je n’avoir jamais santé ! Non, non : au nom de Dieu qui a formé le monde, je mangerais plutôt le plus jeune de mes frères. » Le héros qui a donné son nom à Aubri le Bourgoing regrette son cheval avec les mêmes larmes : Ahi ! Blanchart, tant vous aveie chier ;Por ceste dame ai perdu mon destrier = Le cheval, d’ailleurs, rend bien cette affection au chevalier. Il est dit de Bayard, dans Renaus de Montauban : S’a veü son seigneur Renaut, le fil Aimon. — Il le conust plus tost que feme son baron, etc. etc. = Étant donnée cette affection réciproque, il est à peine utile d’ajouter, d’après les textes précédents, que le cheval a un nom. C’est Veillantif (Chanson de Roland, (2160), Tencendur (2993), Tachebrun (347). C’est Saut-Perdu, Marmorie, Passe-Cerf, Sorel, etc. = Du reste, si l’on veut avoir le « portrait en pied » d’un cheval, si l’on veut connaître l’idéal que s’en faisaient nos pères, il faut relire les vers 1651 et suivants ; « Pieds bien taillés, jambes plates, courte cuisse, large croupe, flancs allongés, haute échine, queue blanche, crinière jaune, petite oreille, tête fauve. » = Les chevaux célébrés dans nos poèmes étaient des chevaux entiers, et l’on regardait alors comme une honte de monter sur une jument. = Le chevalier se rappelait volontiers où et comment il avait conquis son bon cheval : Il le conquist es guez desuz Marsune ; etc, (2994.) = Malgré son amour pour la bête, le chevalier ne lui ménage pas les coups d’éperon : Mult suvent l’esperonet. (2996.) Le cheval brochet. (3165, etc.) Ces mots reviennent mille fois dans notre poème : ce sont peut-être les plus souvent employés. Et il l’éperonne jusqu’au sang : Li sancs en ist tus clers. (3165.) = Avant la bataille, il lui laschet les resnes et fait son estais (2997, 3166), c’est-à-dire qu’il se livre à un « temps de galop ». Quelquefois, dans cet exercice, il fait sauter à son cheval un large fossé. C’est un petit carrousel (3166.) = Le cheval de guerre s’appelle « destrier ». Le cheval de somme s’appelle sumier, palefreid (paraveredum), et l’on emploie aussi les mulets à cet usage : Laissent les muls e tuz les palefreiz.Es destriers muntent (1000, 1001, aussi 755, 756.) = Notre vieux poème nous parle plus d’une fois des étriers, mais sans nous en préciser la forme, et c’est ici que les monuments figurés viennent à notre aide. (Voir les fig. 5,6,7, 12.) = Pour faire honneur à quelqu’un, et particulièrement au Roi, on lui tient l’étrier : L’estreu li tindrent Naimes e Jocerans. (3113.) = Les selles étaient richement ornées, gemmées à or (1373), orées (1605). La Chanson nous parle souvent des auves (1605), et ailleurs des arçons qui sont primitivement les deux arcs formant la charpente principale de la selle. (1229, etc.) Mais déjà nous avons vu quels sont les éléments de la selle : « des arçonnières étroites et recourbées ; des quartiers coupés carrément et brodés ; deux sangles, distantes, l’une de l’autre ; une bande de cuir formant le poitrail et qui est garnie de franges, et enfin les étriers. » (Domay,