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LES MURAILLES DE CONSTANTINOPLE.

les noms d’Allah et du prophète aux quatre vents de l’horizon, comme des semeurs qui ne s’inquiètent pas où tombe la graine, sachant bien qu’elle trouvera le sillon. Peut-être même sous ces toits vermoulus, au fond de ces baraques abandonnées en apparence, des fidèles déployaient leurs pauvres petits tapis usés, s’orientaient vers la Mecque, et répétaient avec une foi profonde : « La Allah ! il Allah ! ou Mohammed raçoul Allah ! »

Un nègre à cheval passait de temps à autre ; une vieille momie plaquée contre un mur allongeait hors d’un tas de haillons une patte de singe qui demandait l’aumône, profitant de l’occasion inespérée ; deux ou trois gamins échappés d’une aquarelle de Decamps essayaient de fourrer des cailloux dans le goulot d’une fontaine tarie. Quelques lézards couraient sur les pierres en toute sécurité, et c’était tout.

Je me sentais, malgré moi, envahir par une tristesse accablante, et j’aurais oublié le but de notre promenade, qui était d’aller voir les saltimbanques près de la porte de Silivri-Kapoussi, si mon compagnon ne me l’eût plusieurs fois rappelé. — J’étais fatigué, mourant de faim, car nous avions parcouru, sans y prendre garde, un espace énorme, et nous nous étions considérablement écartés de notre route, que nous retrouvâmes, non sans peine ; nous traversâmes la cour et le jardin d’une mosquée dont j’ai oublié le nom, et le son d’une musique aigre et barbare sortant d’un enclos de planches nous indiqua que nous étions dans le bon chemin. — C’était bien là. — Nous nous assîmes sur un de ces tabourets hauts de quatre pouces, l’on nous apporta du café et des pipes, et nous regardâmes les exercices qui avaient lieu au milieu de la cour, sur un lit de poussière fine : c’étaient des Marocains exécutant à peu près les mêmes tours que tout le monde a pu voir au Cirque des Champs-Élysées par la troupe arabe.