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LES MURAILLES DE CONSTANTINOPLE.

droits fréquentés de Constantinople, mais d’une rareté phénoménale en pareil endroit. Nous enfourchâmes ses deux bêtes assez proprement harnachées, et valant certes les rosses prétendues anglaises sur lesquelles nos victorieux paradent aux Champs-Élysées. Ces gentils chevaux curdes, l’un blanc, l’autre bai, se mirent fraternellement au pas allongé, suivis par leur maître, marchant à pied, et nous primes sur la droite, laissant à gauche les tours ébréchées de l’antique prison d’État. Nous voulions longer extérieurement les anciennes murailles de Byzance, depuis la mer jusqu’à Ederne-Capoussi et même plus loin, si nous n’étions pas trop fatigués.

Je ne crois pas qu’il y ait nulle part au monde une promenade plus austèrement mélancolique que ce chemin qui circule pendant près d’une lieue entre un cimetière et des ruines.

Les remparts, composés de deux rangs de murailles flanquées de tours carrées, ont à leurs pieds un large fossé comblé maintenant par des cultures et revêtu d’un parapet de pierre, ce qui formait trois enceintes à franchir. Ce sont les antiques murailles de Constantin, telles que les assauts, le temps, les tremblements de terre, les ont faites ; dans leurs assises de briques et de pierre, on voit encore les brèches ouvertes par les catapultes, les balistes, les béliers et cette gigantesque couleuvrine, mastodonte de l’artillerie, que servaient sept cents canonniers, et qui lançait des boulets de marbre du poids de six cents livres. Çà et là une immense lézarde fend une tour du haut en bas ; plus loin, tout un pan de mur est tombé au fond du fossé ; mais où la pierre manque, le vent apporte de la poussière et des graines, un arbuste se développe à la place du créneau absent, et devient un arbre ; les mille griffes des plantes parasites retiennent la brique qui va choir ; les racines des arbousiers, après