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CONSTANTINOPLE.

avoir été des pinces pour s’introduire entre les joints des pierres, se changent en crampons pour les retenir, et la muraille continue sans interruption, découpant sur le ciel sa silhouette ébréchée, étalant ses courtines drapées de lierre et dorées par le temps de tons sévères et riches. De distance en distance s’élèvent les vieilles portes d’architecture byzantine, empâtées de maçonnerie turque, mais pourtant reconnaissantes encore.

Il serait difficile de supposer une cité vivante derrière ces remparts morts qui pourtant cachent Constantinople. On se croirait aux abords d’une de ces villes des contes arabes dont tous les habitants ont été pétrifiés par un maléfice ; — quelques minarets seuls lèvent la tête au-dessus de l’immense ligne des ruines, et témoignent que l’islam a là sa capitale. Le vainqueur de Constantin XIII, s’il revenait au monde, pourrait placer encore avec à-propos sa mélancolique citation persane : « L’araignée file sa toile dans le palais des empereurs, et la chouette entonne son chant nocturne sur les tours d’Ephrasiab. »

Ces murailles roussâtres, encombrées de la végétation des ruines, qui s’écroulent lentement dans la solitude, et sur lesquelles courent quelques lézards, il y a quatre cents ans voyaient ameutées à leurs pieds les hordes de l’Asie, poussées par le terrible Mahomet II. Les corps des janissaires et des timariots roulaient, criblés de blessures, dans ce fossé où s’épanouissent maintenant de pacifiques légumes ; des cascatelles de sang ruisselaient sur leurs parois où pendent les filaments des saxifrages et des plantes pariétaires. Une des plus terribles luttes humaines, lutte de race contre race de religion contre religion, eut lieu dans ce désert où règne un silence de mort. Comme toujours, la jeune barbarie l’emporta sur la civilisation décrépite, et, pendant que le prêtre grec faisait frire ses poissons, ne pouvant croire à la