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KADI-KEUÏ.

À l’arrière du bateau se tenaient cinq ou six femmes musulmanes, sous la conduite d’une vieille et d’une négresse ; leurs yachmacks de mousseline assez transparente laissaient deviner des traits réguliers et purs, et dans l’interstice brillaient sauvagement de grands yeux noirs surmontés de sourcils épais rejoints par le surmeh ; le nez décrivait, sous ces linges, une courbe assez aquiline, et le menton, déprimé perpétuellement par les bandelettes, fuyait un peu en arrière : c’est le défaut des beautés turques ; lorsqu’elles sont dévoilées, l’enchâssement de leurs yeux, seule portion de leur visage exposée à l’air, est d’une teinte beaucoup plus brune que le reste de la peau, et leur fait comme un petit masque de hâle dont l’effet est de raviver singulièrement la nacre de la sclérotique.

Mais comment connaissez-vous ce détail ? va sans doute dire le lecteur, flairant quelque bonne fortune. — De la façon la moins don juanesque du monde : en errant par les cimetières, il m’est arrivé quelquefois de surprendre involontairement une femme rajustant son yachmack ou l’ayant laissé ouvert à cause de la chaleur, et se fiant à la solitude du lieu ; voilà tout.

Ces Turques, qui paraissaient appartenir à la classe aisée, avaient des feredgés de couleurs claires et fort propres, et leurs jambes, polies par les préparations du bain oriental, luisaient comme du marbre entre leurs caleçons de taffetas et leurs bottines de maroquin jaune. — Ces jambes étaient généralement fortes ; il ne faut pas chercher en Turquie la sveltesse d’extrémités de la race arabe. — Une de ces femmes allaitait un enfant et prenait plus de soin de couvrir son visage que sa gorge toute gonflée de lait et toute marbrée de veines bleues, que le nourrisson mordait de sa bouche rose avec le caprice nonchalant de l’appétit repu.

Près du groupe musulman s’étaient assises trois belles