Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
337
LES ÎLES DES PRINCES.

Cortége des Heures de la fresque du Guide, au palais Rospigliosi.

Les Turcs les regardaient assez dédaigneusement, ne concevant pas que l’on se donne du mouvement pour s’amuser, ni surtout que l’on danse soi-même.

Je continuai à grimper jusqu’à une touffe de sept arbres qui couronne la montagne comme un panache ; de là, on domine tout le parcours du Bosphore : on découvre la mer de Marmara, tachetée par les îles des Princes, un radieux et merveilleux spectacle. Vu de cette hauteur, le Bosphore, reluisant par places entre ses rives brunes, présente l’aspect d’une succession de lacs ; les courbures des berges et les promontoires qui s’avancent dans les eaux semblent l’étrangler et le fermer de distance en distance ; les ondulations des collines dont est bordé ce fleuve marin sont d’une suavité incomparable ; la ligne serpentine qui se déploie sur le torse d’une belle femme couchée, et faisant ressortir sa hanche, n’a pas une grâce plus voluptueuse et plus molle.

Une lumière argentée, tendre et claire comme un plafond de Paul Véronèse, baigne de ses vagues transparentes cet immense paysage. Au couchant, Constantinople avec sa dentelle de minarets sur la rive de l’Europe ; à l’orient, une vaste plaine rayée par un chemin conduisant aux profondeurs mystérieuses de l’Asie ; au nord, l’embouchure de la mer Noire et les régions cimmériennes ; au sud, le mont Olympe, la Bithynie, la Troade, et, dans le lointain de la pensée qui perce l’horizon, la Grèce et ses archipels. Mais, ce qui attirait le plus mes regards, c’était cette grande campagne déserte et nue, où mon imagination s’élançait à la suite des caravanes, rêvant de bizarres aventures et d’émouvantes rencontres.

Je redescendis après une demi-heure de muette contemplation jusqu’au plateau occupé par les groupes de fumeurs,