Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
7
EN MER.

tance pour Constantinople. Le Midi se déclare déjà par un gai soleil qui tiédit les dalles et fait pépier des centaines d’oiseaux exotiques dans les cages exposées à la devanture de deux marchands oiseleurs : les aras réjouis débitent leur répertoire, les bengalis battent des ailes, se croyant chez eux ; les ouistitis gambadent légèrement, se grattent l’aisselle, vous regardent de leurs yeux presque humains, et vous tendent amicalement leurs petites mains fraîches à travers les barreaux, insoucieux encore de la phthisie qui les fera tousser sous la ouate aux froids salons parisiens ; il n’est pas jusqu’aux mornes tortues qui ne se démènent dans leur carapace et ne se raniment à ce rayon vivificateur ; en quarante heures j’ai passé de la pluie torrentielle au bleu le plus pur. J’ai laissé l’hiver derrière moi, et je trouve l’été ardent et splendide ; je vais prendre une glace, idée qui m’eût fait frissonner avant-hier sur le boulevard de Gand ; j’entre au café Turc : je me dois cela à moi-même, puisque je pars pour Constantinople ; c’est un très-beau café, ma foi. Cependant je ne vous en parlerais pas, malgré son luxe de miroirs, de dorures, de colonnettes et d’arcades, sans une charmante salle à l’entre-sol, décorée de peintures d’artistes exclusivement marseillais : c’est un musée local très-curieux et très-intéressant. Les boiseries sont divisées en panneaux représentant divers sujets abandonnés à la fantaisie du peintre. — Loubon, dont on a admiré à Paris les paysages poudroyants de soleil et les grands troupeaux cheminant sur des terrains de pierre ponce, a fait là son chef-d’œuvre, et un chef-d’œuvre, — une Descente de Bufles par un ravin aux approches d’une ville d’Afrique. La lumière brûle la terre blanche sur laquelle se projette l’ombre bleue des bêtes difformes qui suivent la pente dans des poses de raccourci, se déhanchant, heurtant leurs genoux cagneux, levant leurs mufles baveux et lustrés pour humer l’air torride ; les re-