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CONSTANTINOPLE.

collection d’Elbicei-Atika, dans la tragédie de Bajazet ou la cérémonie du Bourgeois gentilhomme. Vous revoyez là ces physionomies impassibles comme la fatalité, ces yeux sereinement fixes, ces nez d’aigle se recourbant sur une longue barbe blanche, ces joues brunes, tannées pas l’abus des bains de vapeur, ces corps à robuste charpente que délabrent les voluptés du harem et les extases de l’opium, cet aspect du Turc pur sang qui tend à disparaître, et qu’il faudra bientôt aller chercher au fond de l’Asie.

À midi, le bazar des armes se ferme dédaigneusement, et ces marchands millionnaires se retirent dans leurs kiosques sur la rive du Bosphore, et regardent d’un air courroucé passer les bateaux à vapeur, ces diaboliques inventions franques.

Les richesses entassées dans ce bazar sont incalculables : là se gardent ces lames de damas, historiées de lettres arabes, avec lesquelles le sultan Saladin coupait des oreillers de plume au vol, en présence de Richard Cœur-de-Lion, tranchant une enclume de sa grande épée à deux mains, et qui portent sur le dos autant de crans qu’elles ont abattu de têtes ; ces kandjars, dont l’acier terne et bleuâtre perce les cuirasses comme des feuilles de papier, et qui ont pour manche un écrin de pierreries ; ces vieux fusils à rouet et à mèche, merveilles de ciselure et d’incrustation ; ces haches d’armes qui ont peut-être servi à Timour, à Gengiskan, à Scanderberg, pour marteler les casques et les crânes, tout l’arsenal féroce et pittoresque de l’antique Islam. Là rayonnent, scintillent et papillotent, sous un rayon de soleil tombé de la haute voûte, les selles et les housses brodées d’argent et d’or, constellées de soleils de pierreries, de lunes de diamants, d’étoiles de saphirs ; les chanfreins, les mors et les étriers de vermeil, féeriques caparaçons, dont le luxe oriental revêt les nobles coursiers du Nedj, les