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LES DERVICHES TOURNEURS.

Contrairement aux autres mahométans, qui empêchent les giaours d’assister en curieux aux cérémonies du culte, et les chasseraient outrageusement des mosquées s’ils essayaient de s’y introduire aux heures de prière, les derviches laissent pénétrer les Européens dans leurs tekkés, à la seule condition de déposer leur chaussure à la porte, et d’entrer pieds nus ou en pantoufles ; ils chantent leurs litanies et accomplissent leurs évolutions sans que la présence des chiens de chrétiens paraisse les déranger aucunement ; on dirait même qu’ils sont flattés d’avoir des spectateurs.

Le tekké de Péra est situé sur une place encombrée de tombes, de pieux de marbre à turbans et de cyprès séculaires, espèce d’annexé ou de succursale du petit Champ-des-Morts, où se trouve le tombeau du comte de Bonneval, le fameux renégat.

La façade, fort simple, se compose d’une porte surmontée d’un cartouche, historiée d’une inscription turque, d’un mur percé de fenêtres à grillages, laissant apercevoir des sépultures de derviches, car en Turquie les vivants coudoient toujours les morts, et d’une fontaine encastrée et treillissée, garnie de spatules de fer pendues à des chaînes, pour que les pauvres puissent boire commodément, et qu’entourent des groupes de hammals, altérés par la pénible montée de Galata. Tout cela n’a rien de monumental, mais ne manque pas de caractère ; les grands mélèzes du jardin, la coupole et le minaret blanc de la mosquée qu’on aperçoit dans le bleu du ciel, par-dessus la muraille, rappellent à propos l’Orient.

L’intérieur ressemble à toute autre habitation mahométane ; pas de ces longs cloîtres en arcade, de ces corridors interminables sur lesquels s’ouvrent des cellules, pieux cachots de reclus volontaires, de ces cours silencieuses où l’herbe pousse et où grésille une fontaine dans une vasque verdie.