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LES DERVICHES TOURNEURS.

preté extrême : on dirait plutôt une classe disposée pour les élèves de Cellarius que le lieu d’exercice d’une secte fanatique.

Je m’assis, les jambes croisées, au milieu de Turcs et de Francs, également déchaux, tout près de la balustrade inférieure, au premier rang, de manière à ne rien perdre du spectacle. — Après une attente assez prolongée, les derviches arrivèrent lentement, deux par deux ; le chef de la communauté s’accroupit sur un tapis recouvert de peaux de gazelle, au-dessous du mirah, entre deux acolytes : c’était un petit vieillard au teint plombé et fatigué, la peau plissée de mille rides et le menton hérissé d’une barbe rare et grisonnante ; ses yeux, brillants par éclairs fugitifs dans sa face éteinte, au centre d’une large auréole de bistre, donnaient seuls un peu de vie à sa physionomie de l’autre monde.

Les derviches défilèrent devant lui, en le saluant à la manière orientale avec les marques du plus profond respect, comme on fait pour un sultan ou pour un saint ; c’était à la fois une politesse, un témoignage d’obéissance et une évolution religieuse ; les mouvements étaient lents, rhythmés, iératiques, et, le rite accompli, chaque derviche allait prendre place en face du mirah.

La coiffure de ces moines musulmans consiste en un bonnet de feutre épais d’un pouce, d’un ton roussâtre ou brun, et que je ne saurais mieux comparer, pour la forme, qu’à un pot à fleurs renversé, dans lequel on aurait entré la tête ; un gilet et une veste d’étoffe blanche, une immense jupe plissée, de même couleur et semblable à la fustanelle grecque, des caleçons étroits et blancs aussi, descendant jusqu’à la cheville, composent ce costume, qui n’a rien de monacal dans nos idées et ne manque pas d’une certaine élégance. Pour le moment, on ne pouvait que l’entrevoir,