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CONSTANTINOPLE.

ma barbe et mon teint basané, me faisaient d’ailleurs aisément confondre parmi la foule, et je n’avais pas l’air trop scandaleusement parisien.

Sur le turf d’Hyder-Pacha défilaient gravement des arabas, des talikas et même des coupés et des broughams remplis de femmes très-richement parées et dont les diamants scintillaient au soleil, à peines amortis par les brumes blanches des mousselines, comme des étoiles derrière un nuage léger ; des cawas à pied et à cheval accompagnaient quelques-unes de ces voitures, où des odalisques du harem impérial promenaient indolemment leur ennui.

Çà et là de petits groupes de cinq ou six femmes se reposaient à l’abri de quelque ombrage, sous la garde d’un eunuque noir, auprès de l’araba qui les avait amenées, et semblaient poser pour un tableau de Decamps ou de Diaz. Les grands bœufs grisâtres ruminaient paisiblement et agitaient, pour s’émoucher, les houppes de laine rouge suspendues aux baguettes courbes plantées dans leur joug et rattachées à leur queue par une ficelle ; avec leur air grave et leur frontail constellé de plaques d’acier, ces belles bêtes avaient l’air de prêtres de Mithra ou de Zoroastre.

Les vendeurs d’eau de neige, de sorbets, de raisin et de cerises couraient d’un groupe à l’autre, proposant leur marchandise aux Grecs et aux Arméniens, et contribuaient à l’animation du tableau. Il y avait aussi des marchands de carpous de Smyrne découpés en tranches et de pastèques à la chair rose.

Des cavaliers, montés sur de beaux chevaux, se livraient à la fantasia à quelque distance des équipages, sans doute en l’honneur d’une belle invisible ; les pur sang du Nedji, de l’Hedjaz et du Kurdistan secouaient orgueilleusement leurs longues crinières soyeuses et faisaient étinceler leurs housses ornées de pierreries, se sentant admirés, et quel-