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KARAGHEUZ.

de harnais bizarres. De hauts bonnets de peau d’Astracan s’élèvent sur leurs têtes, et ils tiennent à la main leurs haches d’armes inséparables. Karagheuz tâche de se concilier les nouveaux venus, et leur conte toutes sortes de bourdes plus absurdes les unes que les autres, mais proportionnées à la stupidité que les Turcs supposent aux Persans. Hadji-aïvat les capte aussi de son côté, et cette concurrence produit une dispute qui se termine par une prodigieuse volée de coups de pied et de coups de poing que Karagheuz administre à son confident. Pendant cette rixe, l’amoureux se glisse dans le harem, dont la porte se referme sur le nez des Persans ébahis, qui, se ravisant, tombent de concert sur Karagheuz et Hadji-aïvat, et forment une mêlée générale accueillie par les rires inextinguibles de l’auditoire.

Je ne rends ici que la partie purement mimique de la pièce ; je ne sais de turc que les mots insérés par Molière dans la cérémonie du Bourgeois gentilhomme, et ce n’est pas d’ailleurs une de ces langues transparentes comme l’italien, l’espagnol et le portugais, derrière lesquelles la pensée se devine, bien qu’on ne les connaisse pas ; mais il paraît que le dialogue était des plus burlesques, à en juger par l’hilarité et les éclats de rire des assistants capables de le comprendre.

La langue turque se prête à une foule d’équivoques et de calembours les plus drolatiques et les plus bizarres. Il suffit d’une lettre ou d’un accent pour changer le sens d’un mot. Par exemple, Asem veut dire Persan ; asemi signifie jobard. Au lieu de Asem baba, monsieur le Persan, Karagheuz ne manque jamais de dire asemi baba, ce qui excite des rires homériques, le Persan jouant, dans les parades turques, le même rôle que l’Anglais dans les vaudevilles et le Français dans les pièces anglaises. Ces pauvres Persans servent de