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CONSTANTINOPLE.

allé habiter à l’hôtel de France, où, d’un grand salon à huit fenêtres, garni d’un long divan, l’on apercevait le petit Champ-des-Morts, les toits et les minarets de Cassim-Pacha et les hauteurs de San-Dimitri, perspective charmante qui semblerait légèrement lugubre à Paris, mais qu’on trouve avec raison fort gaie à Constantinople ; et, dans cet hôtel, j’avais fait connaissance d’un jeune homme à qui ses études médicales et la perfection avec laquelle il parlait les langues de l’Orient donnaient une grande facilité pour pénétrer dans les maisons turques et en connaître les mœurs intimes : il était abonné de la Presse, grand admirateur de M. de Girardin, et mon nom, connu de lui littérairement, le faisait s’intéresser à mes excursions et à mes recherches de voyageur ; je lui dus la bonne fortune d’une invitation à dîner chez un ancien pacha du Kurdistan de ses amis.

Nous partîmes tous les deux vers six heures du soir pour arriver à Beschick-Tash, où demeurait le pacha, à l’heure du coucher du soleil, car l’on était en Ramadan, et le jeûne ne se rompt que lorsque l’astre du jour a fait disparaître son disque derrière les collines d’Eyoub. À l’échelle de Top’Hané, nous frétâmes un caïque à deux paires de rames, et après une nage vigoureuse d’une demi-heure contre un courant assez rapide, nos caidjis nous débarquèrent au pied de ce café bâti sur l’eau comme un nid d’alcyon, ou comme une vigie de pêcheur, dont j’ai déjà fait un léger croquis, et qui était plein de Turcs, attendant, la montre en main et le chibouck tout chargé, la minute précise où ils pourraient approcher de leurs lèvres le bienheureux bouquin d’ambre et aspirer l’odorante fumée.

Après avoir traversé quelques rues bordées de marchands de lulés (fourneaux de pipe), de confiseries, de concombres, de rapes de maïs et autres denrées orientales, et encombrées d’une foule compacte, nous commençâmes à gravir la ruelle