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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/197

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DÎNER TURC.

bouclier d’or, sur lequel étaient disposés différents mets dans des jattes de porcelaine. Ces disques, supportés par un pied bas, servent de table en Turquie, et trois ou quatre convives peuvent y prendre place. Le linge de corps et de table est un luxe inconnu en Orient. L’on mange sans nappe, mais on vous donne, pour essuyer vos doigts, de petits carrés de mousseline, brochés d’or, assez semblables aux serviettes à thé en usage dans nos soirées à l’anglaise, précaution qui n’est pas inutile, car on ne se sert, à ces repas, que de la fourchette du père Adam. Le maître du logis, plein de politesse et de prévenances, voulait, prévoyant mon embarras, me faire donner, comme dit Castil Blaze :

La cuillère d’argent qui servait à manger ;
mais je le remerciai, désirant me conformer en tout aux règles de la gastronomie turque.

Au point de vue des Brillat-Savarin, des Cussy, des Grimod de la Reynière, des Carème, l’art culinaire turc doit sembler tout à fait barbare et patriarcal ; ce sont des rapprochements de substances tout à fait insolites, des mélanges extravagants pour des palais parisiens, mais qui pourtant ne manquent pas de recherche et ne se font pas au hasard. Les plats, dont on prend avec les doigts quelques bouchées, sont en grand nombre et se succèdent rapidement. Ils consistent en morceaux de mouton, en poulets démembrés, en poissons à l’huile, en concombres crus, farcis, arrangés de toutes les manières ; en petits salsifis visqueux, pareils à des racines de guimauve et très-estimés pour leurs qualités stomachiques ; en boulettes de riz enveloppées de feuilles de vigne ; en purée de citrouille au sucre ; en crêpes au miel ; le tout aspergé d’eau de rose, assaisonné de menthe, d’herbes aromatiques et couronné par le pilaw sacramentel, mets