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DÎNER TURC.

leva pour aller faire sa prière sur un coin de tapis, dans une pièce à côté, et il revint au bout de quelques minutes, calme et grave, après avoir satisfait à ses devoirs religieux en bon musulman ; nous échangeâmes encore quelques phrases, et lorsque je pris congé, le maître du logis me dit que je pouvais revenir quand cela me ferait plaisir et que je serais toujours le bienvenu, ce qui, dans une bouche turque, n’est pas une vaine formule.

En nous en allant, nous causâmes quelques instants avec le secrétaire, installé dans une pièce du rez-de-chaussée. — C’était un jeune homme très-doux, très-poli, Arménien probablement, et qui parlait fort bien le français. Il me fit des questions sur Paris, qu’il désirait beaucoup voir, et en devisant, il vit à mon doigt une cornaline gravée, contenant mon nom en persan fleuri, et à cause de la beauté des caractères taillés par un des plus habiles artistes de Téhéran, il en prit une empreinte en les frottant de noir et en appliquant dessus un morceau de papier, de façon à obtenir les lettres en clair.

Nous retrouvâmes nos caidjis qui nous attendaient à Beschick-Tash ; ils nous eurent bientôt remis à Top’Hané, où nous nous arrêtâmes à un petit café fréquenté par des Circassiens, grands politiqueurs qui tiennent là une espèce d’arbre de Cracovie. — Mon compagnon me traduisit leurs discours, et je fus assez étonné de voir ces hommes à bonnets bordés de fourrure, à jupon de poil de chèvre serré par une ceinture de métal, aux jambes entourées de linge retenu par des cordelettes, parler des affaires de Paris et de Londres, apprécier les ministres et les diplomates en parfaite connaissance de cause.

Pendant qu’ils politiquaient ainsi, un petit derviche vint chanter d’une voix nasillarde et sur une tonalité impossible une cantilène bizarre et mélancolique, dans le but d’ob-