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CONSTANTINOPLE.

pantoufles des étrangères, placées sur le seuil, interdisent l’entrée de l’odalick même au maître du logis, qui se trouve ainsi mis à la porte de chez lui. Une immense population féminine, anonyme et inconnue, circule dans cette ville mystérieuse, changée en bal de l’Opéra perpétuel, où les dominos n’ont pas la permission de se démasquer. Le père et le frère ont seuls le droit de voir à découvert le visage de leurs filles et de leurs sœurs ; on se voile pour les parents moins proches ; ainsi un Turc pourrait n’avoir vu dans sa vie que cinq ou six figures de femmes musulmanes. Les harems nombreux sont l’apanage des vizirs, des pachas, des beys et autres personnes riches, car ils coûtent excessivement cher, chaque femme devenue mère devant avoir sa maison séparée et ses esclaves à elle ; les Turcs de condition ordinaire n’ont guère qu’une femme légitime, bien qu’ils puissent en épouser quatre, et une ou deux concubines achetées. Le surplus du sexe reste pour eux à l’état de fantôme et de chimère ; il est vrai qu’ils se peuvent dédommager en regardant les Grecques, les Juives, les Arméniennes, les Pérotes et les rares voyageuses qui viennent visiter Constantinople.

Si leurs jouissances positives sont mieux assurées que les nôtres, ils n’ont aucun plaisir d’imagination. Comment s’enflammer pour des beautés à peine entrevues, avec qui toute relation suivie est impossible, et dont les formes même de la vie nous séparent invinciblement ? Tout cela n’empêche pas, sans doute, que quelque jeune Osmanli ne s’éprenne d’une khanoun (dame) ou d’une odalisque à la suite d’un hasard heureux ou d’une rencontre fortuite, et que celle-ci ne le lui rende, malgré tous les obstacles ; mais l’exception prouve la règle.

Un Turc, pour se marier, a recours à quelque femme d’âge mûr, faisant le métier d’entremetteuse, profession