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LE BEÏRAM.

à terre en ce moment et s’en retournait le lendemain, il emporterait de Constantinople une idée toute différente de celle qu’il aurait après un séjour prolongé. La ville des sultans lui paraîtrait beaucoup plus turque qu’elle ne l’est.

Dans les rues se promènent, avec flûte et tambour, des musiciens qui ont donné des aubades pendant le Ramadan sous les fenêtres des maisons les plus considérables. Lorsque leur tintamarre a suffisamment duré pour attirer l’attention des habitants du logis, un grillage s’écarte, une main paraît qui laisse tomber un châle, une pièce d’étoffe, une ceinture ou quelque objet analogue, aussitôt accroché au bout d’une perche chargée de cadeaux du même genre : c’est le bacchich destiné à reconnaître la peine qu’ont prise les instrumentistes, ordinairement novices derviches. Ce sont des espèces de pifferari musulmans que l’on paye en bloc, au lieu de leur jeter chaque fois un sou ou un para.

Le beïram est une cérémonie dans le genre des baise-mains officiels d’Espagne, où tous les grands dignitaires de l’empire viennent faire leur cour au padischa. La magnificence turque éclate dans toute sa splendeur, et c’est une des plus favorables occasions que puisse saisir un étranger d’étudier et d’admirer un luxe ordinairement caché derrière les murailles mystérieuses du sérail. Seulement, il n’est pas facile d’assister à cette solennité, à moins d’être englobé fictivement dans le personnel d’une ambassade hospitalière. — La légation sarde voulut bien me rendre ce service, et à trois heures du matin un de ses cawas heurtait du pommeau de son sabre à la porte de mon hôtellerie. J’étais déjà levé, habillé et prêt à le suivre ; je descendis en toute hâte, et nous nous mîmes à arpenter les rues montueuses de Péra, éveillant des hordes de chiens endormis qui levaient le museau au bruit de nos pas et essayaient un faible aboiement pour l’acquit de leur conscience ; nous croisant avec des