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CONSTANTINOPLE.

ne resta que quelques fumées qui montaient lentement des charbons et des décombres.

Le lendemain, j’allai visiter le lieu du sinistre. Deux ou trois cents maisons avaient brûlé. C’était peu de chose si l’on considère l’extrême combustibilité des matériaux ; la mosquée, protégée par ses murailles et ses cloîtres de pierre, était restée intacte. Sur l’emplacement des baraques réduites en cendres, s’élevaient seules les cheminées de briques dont les tuyaux avaient résisté à l’action du feu. Rien n’était plus bizarre que ces obélisques rougeâtres isolés des constructions qui les entouraient la veille. On eût dit un jeu d’énormes quilles plantées là pour l’amusement de Typhon ou de Briarée.

Sur les ruines chaudes et fumantes encore de leurs maisons, les anciens propriétaires s’étaient construit déjà des abris provisoires au moyen de nattes de jonc, de vieux tapis et de morceaux de toile à voile soutenus par des piquets, et fumaient leur pipe avec toute la résignation du fatalisme oriental ; des chevaux étaient attachés à des pieux à la place où avait été leur écurie ; des pans de cloison et des bouts de planches clouées reconstituaient le harem ; un cawadji cuisinait son moka au fourneau, seul reste de sa boutique, sur l’emplacement de laquelle se tenaient accroupis, dans la cendre, tous ses fidèles clients ; plus loin, des boulangers écrémaient, avec des sébiles de bois, des tas de blé dont la flamme avait grillé seulement la première couche ; de pauvres diables cherchaient sous les braises mal éteintes des clous et des ferrailles, débris de leur fortune, mais sans avoir l’air autrement désolé. Je ne vis pas à Kassim-Pacha ces groupes éperdus, ululants et désespérés, qu’un événement pareil ferait se tordre, en France, sur les décombres d’un village ou d’un quartier incendié ; être brûlé, à Constantinople, est une chose toute simple.