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CONSTANTINOPLE.

çant dans le ciel bleu de la nuit des gerbes d’étincelles et de flammèches, malgré l’eau dont on les inondait. La grande rue de Péra présentait l’aspect le plus sinistre ; les compagnies de saccas, leurs pompes sur l’épaule, la parcouraient au grand trot, renversant tout sur leur passage, comme c’est leur privilége, car ils ont ordre de ne se détourner pour qui que ce soit ; des mouchirs à cheval, suivis d’une escouade de valetaille farouche, courant à pied derrière eux, comme la Patrouille turque de Decamps, jetaient, à la lueur des torches, des silhouettes étranges sur les murailles ; les chiens, foulés aux pieds, fuyaient par bandes en poussant des hurlements plaintifs ; des hommes et des femmes passaient, ployés sous des paquets ; des saïs traînaient par le licou des chevaux qui s’effaraient : c’était terrible et beau. Heureusement, quelques maisons de pierre arrêtèrent la marche de l’incendie.

Dans la même semaine, Psammathia, — un quartier grec de Constantinople, — devint la proie des flammes ; deux mille cinq cents maisons brûlèrent. Puis Scutari s’alluma à son tour. À chaque instant le ciel devenait rouge dans quelque coin, et la tour du Seraskier ne faisait que hisser son panier et sa lanterne ; on eût dit que le démon de l’incendie secouait sa torche sur la ville. — Enfin, tout s’éteignit, et les désastres s’oublièrent avec cette heureuse insouciance sans laquelle l’espèce humaine ne saurait vivre.