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LE PALAIS DU BOSPHORE.

ignorance naïve, déployée sur une échelle gigantesque, a son charme ; il est probable que les hardis constructeurs de nos cathédrales n’en savaient pas davantage, et leurs œuvres n’en sont pas moins admirables pour cela.

Le long de ce palais règne un terre-plein bordé, du côté du Bosphore, de piliers monumentaux reliés entre eux par des grilles d’une serrurerie ouvragée et charmante où le fer se courbe en mille arabesques fleuries, déliées comme les traits qu’une plume hardie tracerait à main levée sur le vélin. — Ces grilles dorées forment une balustrade d’une richesse extrême.

Les deux ailes, construites à une autre époque, sont beaucoup trop basses pour le corps de logis principal, avec lequel elles n’ont d’ailleurs aucun rapport de style ni de forme. Figurez-vous une double rangée d’Odéons et de Chambres des Députés en miniature se suivant dans une alternance ennuyeuse et présentant aux yeux une file de petites colonnes menues qui semblent de bois quoiqu’elles soient de marbre.

En passant et repassant devant ce palais, le désir de le visiter m’était venu bien des fois. — En Italie, rien n’eût été plus simple ; mais faire aborder son caïque à un débarcadère impérial serait en Turquie une action de conséquence et qui pourrait avoir des suites fâcheuses. — Heureusement, un intermédiaire amical me mit en rapport avec l’architecte, M. Balyan, un jeune Arménien de beaucoup d’esprit, et qui parlait français.

M. Balyan eut la bonté de me prendre dans sa barque à trois paires de rames, et me fit entrer d’abord dans un ancien kiosque, débris du palais précédent, où l’on nous apporta des pipes, du café et des sorbets à la rose ; puis il me conduisit lui-même à travers les appartements avec une obligeance eu une politesse parfaites, dont je le remercie à