Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
320
CONSTANTINOPLE.

époque. Il faudrait le crayon du lithographe et le pinceau de l’enlumineur plutôt que la plume de l’écrivain, pour rendre ces variétés de coupes et de nuances, tous ces détails dont se surcharge péniblement une description qui, quelque effort qu’on fasse, n’est jamais bien claire à l’œil du lecteur ; parmi les nombreux artistes dont Constantinople reçoit la visite, je m’étonne qu’il ne s’en soit pas trouvé un curieux de réunir dans un album colorié cette précieuse collection ; on obtiendrait sans peine le firman nécessaire pour travailler dans la galerie, et la vente en serait assurée, maintenant surtout que les esprits sont tournés vers l’Orient.

En attendant que les dessins soient faits, marquons en passant quelques singularités, entre autres, un bach-kara-koulloudji, — chef marmiton, dont le grade correspond à celui de lieutenant d’une compagnie, — qui porte sur l’épaule, comme insigne de sa dignité, une cuiller à pot gigantesque, qu’on croirait prise au dressoir de Gargantua ou de Gamache. Cette étrange décoration se termine en fer de lance, sans doute pour associer les idées de guerre et de cuisine ; un chatir (coureur), dont un passementier semble avoir pris la tête pour y rouler une longue pièce de ruban blanc : les innombrables tours que l’étoffe fait sur elle-même forment un rebord semblable aux ailes d’un chapeau rond ; — un yenitcheri-oustaci (officier supérieur), flanqué de deux acolytes et affublé du plus bizarre costume qu’on puisse imaginer.

Cet officier est bardé d’énormes plaques de métal rondes, grandes comme des couvercles de casseroles, attachées à sa ceinture, contre lesquelles viennent battre et bruire d’autres plaques carrées, niellées, ciselées et d’un curieux travail ; de la garde du sabre pend une grosse clochette d’airain comme celle qu’on pend, en Espagne, au cou de l’âne-colonel ; sa coiffure, arrondie en calotte comme le sommet